Mark Eisenegger (IKMZ) et Konrad Weber voient aussi des opportunités pour les médias dans le thème de la désinformation.

Actuel – 19.05.2025

Réflexe d’hésitation et désinformation

La désinformation est nuisible – y compris pour le journalisme. Elle rend les consommateurs de médias de plus en plus critiques, même envers les contenus de qualité. Que peuvent faire les professionnels des médias pour y remédier ?

Par Bettina Büsser

Puis-je y croire ? Est-ce une vraie information ou une fausse nouvelle ? » Ces questions, beaucoup se les posent face aux contenus numériques et hésitent. Ce « réflexe d’hésitation » traduit une perte de confiance dans les informations en ligne, explique Konrad Weber. Ce consultant en stratégie et expert en transformation numérique identifie chaque année les « méta-tendances » pour le secteur des médias et de la communication, sur la base de prévisions et de rapports de tendances. Pour 2025, il classe ce « réflexe d’hésitation » comme première des huit grandes tendances.

Quelle est son ampleur en Suisse ? Konrad Weber ne connaît aucune étude qui réponde directement à cette question. Cependant, selon des recherches* sur les fake news et l’usage de l’intelligence artificielle, il estime qu’une grande majorité des personnes est aujourd’hui très critique, voire méfiante, à l’égard des contenus numériques.

Perte de confiance envers les médias

C’est une mauvaise nouvelle pour les offres journalistiques numériques. « Le réflexe d’hésitation signifie une perte de confiance évidente dans les médias traditionnels », explique Konrad Weber. Cela oblige les professionnels des médias à produire des contenus encore plus transparents, factuels et vérifiables. « L’effort nécessaire pour vérifier la véracité des informations augmente – un défi supplémentaire dans un contexte économique déjà tendu, en particulier pour les journalistes indépendants. »

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Toutefois, cette méfiance croissante du public pourrait aussi avoir un effet positif. Elle pourrait inciter à une approche plus critique des contenus numériques. « L’idéal serait que les médias saisissent cette opportunité pour rétablir la confiance grâce à des normes éthiques claires, une plus grande transparence et des investissements dans la qualité. Cela leur permettrait aussi de se démarquer des contenus générés par l’IA. »

Mark Eisenegger, professeur à l’Institut des sciences de la communication et des médias (IKMZ) de l’Université de Zurich et directeur du Centre de recherche sur l’opinion publique et la société (fög), voit dans la lutte contre la désinformation une opportunité pour les médias. Selon lui, la demande de contenus fiables ne disparaîtra jamais, surtout dans une période d’incertitude comme celle que nous vivons. « Plus les plateformes technologiques – notamment à cause de l’IA – seront associées à la désinformation, plus ce sera une opportunité pour un journalisme crédible. »

Mark Eisenegger est l’un des auteurs d’une étude** sur la gouvernance de la désinformation en Suisse, menée sous un angle juridique et sociologique. Cette étude propose plusieurs mesures pour lutter contre la désinformation, notamment : l’obligation d’identifier la publicité et les bots sur les réseaux sociaux, des exigences de transparence pour les plateformes, un accès facilité aux données pour la recherche, ainsi que la création d’un conseil numérique et d’un observatoire sur la désinformation. Deux mesures concernent directement les médias : le renforcement du journalisme d’information et la création d’une plateforme médiatique suisse.

Contrôle social en Suisse

Selon l’étude scientifique, l’amélioration générale des compétences en médias et en numérique joue un rôle clé dans le renforcement de la résilience face à la désinformation. Comparée à d’autres pays comme les Etats-Unis, la Suisse se montre plus résistante à la désinformation, explique Mark Eisenegger dans Edito. Cette résilience s’explique par une polarisation relativement faible de la société, mais aussi par la petite taille du pays, son -organisation fédérale et son multilinguisme. « Dans les -petits espaces sociaux de la Suisse, le contrôle social est plus fort. »

Malgré des défis comme la concentration des médias, le journalisme d’information conserve une position relativement solide. « En Suisse, diffuser de la désinformation entraîne des pertes de réputation, notamment parce que les auteurs s’exposent à une couverture critique dans les médias d’actualité. » Contrairement aux Etats-Unis, la diffusion de fausses informations n’est pas encore un comportement anodin en Suisse, mais un sujet pris au sérieux tant par les médias que par le public.

Assumer la fonction de « watchdog »

Selon Mark Eisenegger, le rôle du journalisme de qualité est déterminant pour renforcer la résilience de la société face à la désinformation. Il estime que le journalisme devrait assumer davantage son rôle de « watchdog » sur Internet et débunker (démasquer) les fausses informations potentielles. « La SSR et les médias privés font déjà un certain travail, mais la SSR pourrait être encore plus active. »

Les recherches montrent qu’il est essentiel de réagir rapidement et de procéder à un débunking avant que l’information erronée ne se propage massivement. « Cela reste difficile, car la désinformation – souvent spectaculaire, perturbante et à fort impact médiatique – circule très vite. Pourtant, le journalisme devrait s’investir davantage dans cette mission. »
Pour M. Eisenegger, le problème principal n’est pas tant la désinformation que la privation d’information. « Le fait que les gens soient exposés à de la désinformation est moins préoccupant que le fait qu’ils soient de moins en moins en contact avec des informations journalistiques. » C’est là que la société doit agir, selon lui, en mettant en place des mesures pour renforcer les compétences médiatiques et encourager l’intérêt pour la politique.

*
Annuaire «fög – Qualität der Medien» 2024 ainsi que -Office fédéral de la statistique: Accès des utilisateurs aux services en ligne

**
Thouvenin, F.; Eisenegger, M.; Volz, S.; Vogler, D.; Jaffé, M., (2023). Gouvernance de la désinformation dans la sphère publique numérique. Etude pour l’Office fédéral de la communication (OFCOM)

« Pas encore prêt pour la consultation »
Les plateformes telles que Facebook, X, Insta­gram et TikTok jouent un rôle de plus en plus important dans le débat public. Pourtant, elles définissent elles-mêmes les règles selon lesquelles elles modèrent les contenus. L’Union européenne a récemment adopté de nouvelles réglementations pour ces plateformes avec le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA).

La Suisse souhaite elle aussi introduire une régulation. En avril 2023, le Conseil fédéral a annoncé son intention de renforcer les droits des utilisateurs en Suisse et d’exiger plus de transparence de la part des plateformes, tout en veillant à ne pas restreindre la liberté d’expression. Pour cela, de nouvelles dispositions légales sont nécessaires, en s’inspirant « dans la mesure du possible » des règles du DSA européen. Le DETEC a été chargé de préparer un projet de loi en vue d’une consultation d’ici mars 2024. Cependant, le délai a été reporté à début 2025. Aujourd’hui, l’OFCOM indique : « Le texte n’est pas encore prêt pour la consultation. »

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